mardi 16 août 2011

Le Brésil et nous

publié dans L'Histoire n° 366 - 07/2011 +

«Nous sommes tous des Brésiliens ! » Voilà une formule qui peut surprendre. Qu'y a-t-il de commun entre nous et cet immense pays, quinze fois la superficie de la France, aux origines et à la langue portugaises, à la culture longtemps folklorisée - samba, carnaval et football -, émergeant de ce qu'on appelait le tiers-monde dans les années 1960, où lecaboclo du Nordeste représentait l'emblème du sous-développement et de la sous-alimentation ?
Entre les deux pays les affinités sont pourtant anciennes. Sans doute les essais de colonisation française, qui remontent au XVIe siècle, et auxquels le nom du vice-amiral de Bretagne Villegagnon reste attaché, ont-ils été un échec cuisant. Reste que c'est la lecture de ces voyageurs, Jean de Léry notamment, qui inspira à Montaigne son chapitre Des cannibales . Ce sont les indigènes du Brésil qui, par lui, nous ont fait accéder à l'Amérique et plus encore à la pensée qu'il pouvait exister une humanité qui ne nous ressemblait pas : « Mais quoi, ils ne portent pas de hauts-de-chausse ! »
Pour le voyageur d'aujourd'hui, le plus clair peut-être de l'influence « hexagonale » est encore la pratique de la langue française. Depuis la fin du XVIIIe siècle, l'élite brésilienne - gagnée, comme dans toute l'Amérique latine, par le rayonnement des Lumières - a parlé le français. La Révolution de 1789 a rencontré une ferveur dont il reste des traces. La république fut proclamée en 1889 sous les couplets de La Marseillaise ; le nouveau drapeau, qui est toujours celui du Brésil, fut orné de l'inscription : « Ordem e Progresso » , la devise d'Auguste Comte. Malgré l'affirmation d'une identité nationale forte, et ouverte à bien d'autres influences, le Brésil est resté au XXe siècle lié à la culture française. Claude Lévi-Strauss et Fernand Braudel contribuèrent dans les années 1930 à la naissance de l'université de São Paulo, tandis que des écrivains catholiques comme Bernanos ou Maritain ont inspiré dom Helder Camara, l'évêque des pauvres.
Aussi réconfortantes que peuvent être ces traces d'un passé commun, ce qui nous rapproche aujourd'hui du Brésil est cependant bien plus la question du métissage. Le plus grand pays de l'esclavage, à l'abolition la plus tardive, fut aussi celui du mélange racial. Un mythe-force qui sans doute n'empêche pas les pires inégalités mais qui, porté par le grand livre de Gilberto Freyre Maîtres et esclaves , est devenu la réalité d'un projet politique.
Surtout, ce pays auquel les années Lula ont donné la stature d'un Grand, forçant la porte du G20, malgré ses faiblesses évidentes et ses retards avérés, nous fait rêver quelquefois d'une société où les inégalités régressent, où des universités recrutent, qui peut viser les premiers rangs ailleurs qu'au stade Maracana, et montrer peut-être, hors de l'ultralibéralisme sans frein et du socialisme d'État, l'exemple inédit d'une puissance émergente profondément pacifique.

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