Salvador de Bahia garde un attachement viscéral à l'Afrique et au culte des divinités orishas. Balade brésilienne avec l'écrivain Abdourahman Waberi.
La baie de Salvador de Bahia est unique au monde par son attachement viscéral à l’Afrique. Imaginez un instant que vous vous êtes égaré dans le vaste espace des Amériques et que vous venez de tomber sur un morceau d’Afrique si vibrant qu’il semble incarner toute la sève et tout l’oxygène du continent, alors nul doute n’est permis: vous êtes bel et bien, corps et âme, à Salvador de Bahia, à l’extrême orient de ce Brésil qui abrite la plus grande communauté noire du monde après le Nigeria.
Salvador de Bahia fut la première capitale du Brésil, de 1548 à 1763. Véritable point de convergence des cultures européennes, africaines et amérindiennes, elle fut surtout un centre important de la culture de la canne à sucre et un port essentiel dans le commerce triangulaire (traite négrière).
A présent, fermez les yeux, dépliez une carte imaginaire devant vous et remontez le temps. Parti de la troisième ville du Brésil, vous voilà de retour sur une plage en Afrique, quelque part en pays yorouba, du côté de Pointe-Noire au Congo ou ailleurs. La boucle est bouclée. Par une de ces ironies dont l’histoire a souvent le secret, la présence des esprits, la prégnance des rites, les mille masques des peuples et des totems africains semblent plus visibles dans les ruelles pavées de la vieille ville de Salvador de Bahia -la fameuse São Salvador de Bahia de Todos Os Santos- qu’à Luanda (Angola), à Abeokuta (Nigeria) ou à Cotonou (Bénin). En Afrique, du moins dans les métropoles, il ne faut pas être sorcier pour noter que les esprits vivent reclus dans les arrière-cours poussiéreuses ou au fond de la brousse.
En revanche, tout le monde sait qu’à Bahia, les orishas vivent au grand air, au milieu de tous et dans le cœur de chacun, blanc comme noir. Ces divinités sont célébrées à longueur de nuit et de jour, et pas seulement par les artistes et les danseurs de carnaval. Si, comme moi, vous avez le bonheur de rencontrer la chanteuse lyrique Rita Bras ou le tonitruant Aloisio Menezes, dont la voix de stentor résonne dans vos oreilles bien longtemps après qu’il a fini de chanter le dernier refrain de son éloge à Shango (dieu du tonnerre) ou Yemanja (déesse de la mer), vous saurez que les mots «émotion», «fusion» ou «effusion» ont tout leur sens ici.
Et s’il vous prenait l’idée incongrue, mais finalement pas si incongrue vu le contexte spirituel, de demander à la pluie (la chuva) qui tombe drue ces derniers jours sur la ville de Salvador de Bahia d’où elle tire sa vigueur; elle vous répondrait sans hésiter qu’elle est, elle aussi, bien sûr, de mèche avec les orishas. Et voilà comment les divinités africaines prennent leur revanche sur l’histoire des hommes chaque jour que Dieu fait. Voilà comment leurs voix surgissent de la cohue des innombrables troupes de samba et de carnaval.
Ces voix de l’autrefois virevoltent au-dessus des bois sacrés encerclant la baie, où on a érigé des condominiums onéreux et des gratte-ciel qui, par leur luxe insolent, tentent de nous faire croire que le Brésil n’a rien à envier aux skylines de New York et de Shanghai. Ne posez pas trop de questions à votre hôte bahianais, vous risquez de le mettre dans l’embarras. Il y a des secrets qui ne se partagent pas et que tout adepte de la capoeira sait garder au fond de son cœur.
Si vous êtes arrivé ici, place du Pilori à Bahia, un 2 juillet, alors vous avez bien de la chance. C’est l’anniversaire de la libération de l’Etat de Bahia, le 2 juillet 1823, qui sera célébrée sous vos yeux dans la touffeur enivrante de la ville. Une libération qui aboutira à l'indépendance du Brésil. Dès le petit matin, vous verrez une masse humaine prendre d’assaut les vieilles ruelles du Pelourinho, la partie historique de la ville, pour s’acheminer vers sa grande place. Fanfares, parades, processions, banderoles. Musiques et danses à toutes les étapes et souvent tous les deux mètres. Maillots aux couleurs du pays, jaune dominant. Visages peinturlurés. Rires, joies, plaisirs des sens. On ne peut rien refuser aux orishas qui ont pris des formes humaines. A coup sûr on vous bousculera. On vous enlacera, on vous embrassera même. Pas de doute, vous voilà emporté par la foule interminable. Vous vous dites, il est 10 heures du matin. Seulement 10 heures?
Abdourahman A. Waberi
A présent, fermez les yeux, dépliez une carte imaginaire devant vous et remontez le temps. Parti de la troisième ville du Brésil, vous voilà de retour sur une plage en Afrique, quelque part en pays yorouba, du côté de Pointe-Noire au Congo ou ailleurs. La boucle est bouclée. Par une de ces ironies dont l’histoire a souvent le secret, la présence des esprits, la prégnance des rites, les mille masques des peuples et des totems africains semblent plus visibles dans les ruelles pavées de la vieille ville de Salvador de Bahia -la fameuse São Salvador de Bahia de Todos Os Santos- qu’à Luanda (Angola), à Abeokuta (Nigeria) ou à Cotonou (Bénin). En Afrique, du moins dans les métropoles, il ne faut pas être sorcier pour noter que les esprits vivent reclus dans les arrière-cours poussiéreuses ou au fond de la brousse.
En revanche, tout le monde sait qu’à Bahia, les orishas vivent au grand air, au milieu de tous et dans le cœur de chacun, blanc comme noir. Ces divinités sont célébrées à longueur de nuit et de jour, et pas seulement par les artistes et les danseurs de carnaval. Si, comme moi, vous avez le bonheur de rencontrer la chanteuse lyrique Rita Bras ou le tonitruant Aloisio Menezes, dont la voix de stentor résonne dans vos oreilles bien longtemps après qu’il a fini de chanter le dernier refrain de son éloge à Shango (dieu du tonnerre) ou Yemanja (déesse de la mer), vous saurez que les mots «émotion», «fusion» ou «effusion» ont tout leur sens ici.
Les esprits, cachés partout
Tous les artistes vous confirmeront que Bahia est le cœur pulsant tic-tac de l’Afrique. Ils vous avoueront entre deux éclats de rire qu’ils entretiennent une relation filiale, charnelle et profonde avec les rites afro-brésiliens du candomblé. Ils lèveront un bout du voile qui recouvre leurs codes vestimentaires, leurs inflexions corporelles et autres signes de reconnaissance invisibles aux visiteurs de passage que nous sommes. En leur compagnie, vous éprouverez la fête des sens partout à l’œuvre. Et tous les édifices, toutes les maisons, riches ou pauvres, toutes les terres communales, les banlieues, les centres commerciaux, les théâtres, les bidonvilles, les rues, les ravines et les autoroutes, tout vous rappellera subrepticement, sinon ouvertement, la présence des esprits partis il y a des siècles dans la nuit des cales des bateaux négriers.Et s’il vous prenait l’idée incongrue, mais finalement pas si incongrue vu le contexte spirituel, de demander à la pluie (la chuva) qui tombe drue ces derniers jours sur la ville de Salvador de Bahia d’où elle tire sa vigueur; elle vous répondrait sans hésiter qu’elle est, elle aussi, bien sûr, de mèche avec les orishas. Et voilà comment les divinités africaines prennent leur revanche sur l’histoire des hommes chaque jour que Dieu fait. Voilà comment leurs voix surgissent de la cohue des innombrables troupes de samba et de carnaval.
Ces voix de l’autrefois virevoltent au-dessus des bois sacrés encerclant la baie, où on a érigé des condominiums onéreux et des gratte-ciel qui, par leur luxe insolent, tentent de nous faire croire que le Brésil n’a rien à envier aux skylines de New York et de Shanghai. Ne posez pas trop de questions à votre hôte bahianais, vous risquez de le mettre dans l’embarras. Il y a des secrets qui ne se partagent pas et que tout adepte de la capoeira sait garder au fond de son cœur.
Si vous êtes arrivé ici, place du Pilori à Bahia, un 2 juillet, alors vous avez bien de la chance. C’est l’anniversaire de la libération de l’Etat de Bahia, le 2 juillet 1823, qui sera célébrée sous vos yeux dans la touffeur enivrante de la ville. Une libération qui aboutira à l'indépendance du Brésil. Dès le petit matin, vous verrez une masse humaine prendre d’assaut les vieilles ruelles du Pelourinho, la partie historique de la ville, pour s’acheminer vers sa grande place. Fanfares, parades, processions, banderoles. Musiques et danses à toutes les étapes et souvent tous les deux mètres. Maillots aux couleurs du pays, jaune dominant. Visages peinturlurés. Rires, joies, plaisirs des sens. On ne peut rien refuser aux orishas qui ont pris des formes humaines. A coup sûr on vous bousculera. On vous enlacera, on vous embrassera même. Pas de doute, vous voilà emporté par la foule interminable. Vous vous dites, il est 10 heures du matin. Seulement 10 heures?
Abdourahman A. Waberi
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