Tous les rédacteurs en chef vous le diront : il est fâcheux de vouloir infliger des chiffres à ses lecteurs. Les nombres, dates, classements, indices et autres pourcentages sont jugés rébarbatifs, voire assommants. En voici pourtant une petite gerbe, cueillie au fil de cette semaine dans la presse brésilienne, et qui peut aider à "déchiffrer" quelques réalités locales.
30 000. C'est le nombre de projets et de propositions de loi en souffrance au Congrès de Brasilia, le Parlement fédéral qui rassemble 513 députés et 81 sénateurs. Moins d'un sur dix a des chances, un jour, d'être voté.
Parmi ces textes en sommeil figurent 975 amendements constitutionnels jamais approuvés. Le plus ancien est vieux de seize ans. On y trouve aussi 2 180 textes auxquels les divers présidents successifs ont opposé leur veto, et dont le sort aurait dû être décidé par le législateur dans les... trente jours suivants.
Sans oublier 50 traités internationaux : l'un d'eux, ratifié il y a deux semaines, datait de 1994. Si le Congrès décidait d'examiner tous ces textes - et eux, seulement - au rythme actuel, cela lui prendrait un siècle. Les élus fédéraux ont largement renoncé à une autre prérogative : contrôler les comptes de la présidence de la République. Douze budgets sont en attente d'examen, le plus ancien date de 1990.
Le Congrès possède un talent singulier pour ne pas décider. Parce qu'il est divisé, émietté en une kyrielle de partis, asphyxié par la bureaucratie, soumis aux clientélismes et exposé aux pressions de la présidence. Résultat, c'est surtout l'exécutif qui légifère. La Constitution autorise le chef de l'Etat à prendre des "mesures provisoires" : 1 127 depuis vingt-deux ans : en moyenne une par semaine.
La conclusion, brutale, revient à l'ancien président de la République (1992-1994), redevenu sénateur, Itamar Franco : "Nous sommes des législateurs à la noix !"
6. C'est le nombre de tickets de métro qu'un usager peut acheter à Buenos Aires pour le prix d'un seul à Brasilia. La capitale fédérale est devenue l'une des villes les plus chères de la planète. Et, sur ce chapitre du coût de la vie, les deux mégapoles brésiliennes, Sao Paulo et Rio de Janeiro, la suivent d'assez près.
Automobiles, vêtements, chaussures, médicaments, jouets, parfums, restauration : la liste est longue des biens et services plus onéreux au Brésil qu'à l'étranger. A commencer par le Big Mac, objet d'un célèbre indice, et quatrième plus cher au monde. Un croissant dans un bar coûte cinq fois plus à Brasilia qu'à Paris, et une boîte d'aspirine deux fois plus, une pizza moitié plus qu'à Londres, une séance de cinéma deux fois plus qu'à Buenos Aires, et une voiture japonaise deux fois et demie plus qu'aux Etats-Unis.
La vie chère résulte d'abord de la surévaluation du real, la monnaie nationale, qui s'est appréciée de 110 % en huit ans par rapport au dollar. A cela s'ajoute une conjonction de facteurs : des taxes à l'importation et des impôts pesants, un coût du travail élevé, des infrastructures saturées, la persistance d'oligopoles qui profitent de leur position dominante. Et une vieille habitude des entreprises à cultiver de très grosses marges de profit.
Les Brésiliens, qui, grâce à leur monnaie forte, voyagent de plus en plus, en profitent donc pour revenir au pays avec des valises pleines de produits achetés aux Etats-Unis ou en Europe. Vacances à l'étranger et shopping massif vont désormais de pair.
21. C'est le nombre de Brésiliens, milliardaires en dollars, qui résident dans la seule ville de Sao Paulo. Selon la revue Forbes, qui scrute l'implantation géographique des grosses fortunes, Sao Paulo vient en sixième position, devant Los Angeles et Tokyo.
Signe de l'enrichissement des élites brésiliennes, la ville compte 7 milliardaires de plus que l'an dernier. Le patrimoine de ces privilégiés a doublé en un an. Rio de Janeiro n'abrite "que" 3 milliardaires, dont l'homme le plus riche du pays, l'entrepreneur Eike Batista, huitième fortune mondiale.
7 %. C'est la proportion, modeste et décevante, des adultes analphabètes qui ont appris à lire et à écrire au cours des dix dernières années. De 2000 à 2010, l'illettrisme a sensiblement reculé au Brésil, passant de 13,6 % à 9,6 % de la population. Cette baisse concerne surtout les jeunes de moins de 20 ans, principaux bénéficiaires de la politique de scolarisation.
Chez les adultes, les progrès restent marginaux. La génération des 30-59 ans compte seulement 0,5 % de moins d'analphabètes qu'en 2000, soit 500 000 personnes. Les laissés-pour-compte sont quatre fois plus nombreux en milieu rural que dans les villes. "Notre offre existe, assure le ministre de l'éducation, Fernando Haddad, mais pas la demande. On ne peut pas obliger les adultes à retourner à l'école."
114. C'est le nombre de printemps qu'a connus la Brésilienne Maria Gomes Valentim, sacrée cette semaine nouvelle doyenne de l'humanité par le Guinness des records. Née huit ans seulement après l'abolition de l'esclavage au Brésil, mariée en 1913, veuve en 1946, elle a passé toute son existence dans la même petite ville du Minas Gerais.
"Grand-mère Quita", comme ses proches l'appellent, attribue sa longévité à son petit déjeuner quotidien : une boule de pain agrémentée d'un fruit.
Le Monde, 25 mai 2011
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire