mercredi 1 juin 2011

Voyage aux sources du Brésil

Suivez mon conseil: Si vous comptez ne passer que 24 heures á Salvador, mieux vaut ne pas venir. Ce serait comme rencontrer une femme en bourka. Vous la voyez toute entière, mais ne saurez jamais qui elle est. Salvador semble s´offrir sans retenue, mais c´est pure illusion. Vous ne la dévoilerez que peu á peu, toujours surpris par cent charmes inattendus. D´autres vous parleront de trésors baroques, de la sensualité des vieilles pierres. Bien sûr, évidenment... Mais ne vous laissez pas prendre aux regards de braises des beaux rastas et au sourire des Gabrielas au teint de canelle. S´ils vous disent “My friend” traduisez “Your pocket”. Fuyez aussi les trop aguichantes baianas aux costumes d´opérettes. C´est l´arnaque pour une photo-souvenir. Ah! J´allais oublier: ne donnez pas un sou aux gamins qui crient famine. Ils iront en courant acheter du crack. Ça, c´est um des côtés sinistres de cette société en voie de développement qui traitent les problèmes humains comme simple question de voirie.
Et puis, aprés l´avoir soigneusement fouillé et photographié, ne vous confinez tout de même pas au seul centre historique. La ville recèle bien d´autres surprises. Si par hasard vous avez des nostalgies de terroir, allez faire un tour á la trés belle Alliance Française. Prenez-y   un café en regardant la mer. Ça vaut le déplacement. Et le bureau consulaire s´y trouve.
Les plages? Oui... les plages. J´avoue que celles de la ville me sont trop fréquentées. En été, c´est le métro á six heures. Je préfère les sables sans traces de pas et les vaguelettes sauvages. Ici comme ailleurs, les plus belles plages sont les plus lontaines. Allez donc, surtout si vous avez des gosses, á Arembepe, village de pêcheurs oú dansent les barques colorées. Lá se trouve le Mar Aberto, meilleur restaurant de fruits de mer de la région. Mon ami Jõao et son associé Thierry sont fidèles au poste depuis plus de vingt ans. En attendant le banquet, l´eau calme de la crique vous bercera. Soyons honnêtes: des amis sont allés déjeuner á Arembepe juste aprés Noel et m´ont dit que c´était l´enfer vacancier. Donc, le plus sûr c´est d´y aller hors-saison. Plus loin, objet de tous les désirs, la fameuse Praia do Forte, heureux cocktail nature et sofistication. Un des meilleurs chefs du Brésil, Tereza Paim, en est l´impératrice. Mais revenons plutôt á la première capitale de cet immense et fascinant pays.

Vos plaisirs dépendront du jour de la semaine et de la saison. Tôt le matin du vendredi, même sceptique, allez á la messe de l´église du Bonfim, lá-bas sur la colline qui domine la baie. Vous y verrez une assistance vêtue de blanc, puisque sont venus de toute la ville les adeptes du “candomblé”. Et ce soir, nombreuses seront les cérémonies dédiées aux esprits de la nature. Autre incontournable est la messe de Saint  Antoine, le mardi soir . Deux églises se font concrrence: São Francisco et Nossa-Senhoira do Rosário dos Homens Negros. Placez-vous á droite, le plus prés possible du maitre-autel. Je ne vous dis pas pourquoi. Surprise! Un conseil, évitez, surtout le vendredi, de vous habiller en noir. Sur le retour du Bonfim, arrêtez-vous au marché de São Joaquim, le garde-manger, le ventre de la ville. Du coup vous voici transporté en Afrique. Ce marché semble ne pas avoir changé depuis les années 50, lorsque Pierre Verger, photographe et anthropologue, en a fixé la force et la beauté pour la mémoire des générations futures. Attardez-vous dans les boutiques de candomblé. Ça peut vous paraitre folklo, mais détrompez-vous, c´est une des plus anciennes religions au monde. Sachez que, s´il y a 174 églises catholiques á Salvador, les “terreiros” sont plus de 1500. Si vous avez la chance d´assister á une cérémonie, faites-vous expliquer les fondements. Vous serez três bien reçu et l´ambience ouverte, luminuese, digne et décontractée vous surprendra. Photos interdites.
Le samedi, aprés avoir rempli vos devoirs de touriste appliqué, descendez vers la mer, en fin d´aprés-midi, jusqu´au Museu de Arte Moderna, exceptionnel ensemble des XVII, XVIII et XIXème siécles. Vous y rencontrerez les expressions les plus contemporaines – audio-visuelles, retrospectives, installations - et, en prime, toute la jeunesse branchée de notre capitale, car, á l´heure oú le soleil se couche derrière l´ile d´Itaparica, une excellente jam session teintée de bossa nova réunit les meilleurs musiciens du moment. Vous pouvez boire et grignoter sur place, et même fumer, discrètement, au bord de l´eau.
Le dimanche matin, á 11:00, juste aprés la grand´messe de la cathédrale, il y a toujours un concert de musique sacrée. Selon le programme, l´organiste maison, un quintette ou un requiem avec solistes, choeur et orquestre au grand complet. Évitez les capoeiristas, de la place de la cathédrale. C´est l´arnaque officialisée et parfois trés désagréable. Vous aimez cette danse martiale? Allez plutôt, en fin de journée jusqu´au trés beau fort de Santo Antonio. Lá, plusieurs salles l´enseignent et autorisent les photos. Vous en profiterez pour vous promener dans le quartier, classé lui aussi par l´Unesco, mais moins accrocheur que le Pelourinho. Quelques bars accueilleront vos corps fatigués.
Ne comptez pas faire un week-end/musées, car presque tous sont alors fermés. Depuis longtemps, je fais partie d´un groupe qui tente de changer cette incohérence, mais sans succés jusqu´á cette heure. La bureaucracie demeure triomphante. 

Bien. Vous vous êtes rempli l´esprit et les yeux de culture, maintenant il s´agit de vous mettre á table. La nourriture de Bahia est connue dans tout le Brésil. D´inspiration éminenment africaine, les indiens y contribué avec légumes et fruits et les portugais complété par d´heureuses interventions. Tout le monde dans la rue vous parlera des acarajés, venus en droite ligne du Bénin, mais essayez aussi les abaras, plus faciles á digérer. Pour ceux qui connaissent le Mexique, ceux-ci ressemblent étrangement aux délicieux tamales, comme eux enrobés dans des feuilles de babaniers.
Puisque nous y sommes, continuons á parler de gastronomie. Vous avez une carte bleue bienveillante? Allez donc déjeuner au Paraíso Tropical, dans un quartier ex-centré. Ça vaut le déplacement. La vue sur la ferme envahie d´arbres fruitiers sera le parfait complément á la richesse des saveurs proposées. Le patron et chef, Beto, est allé porter son savoir á Tokio, Madrid, Sofia et vingt autres capitales lors de congrés gastronomiques.
Mais c´est un simple bistrot que me ravit depuis 30 ans: le Mini-Cacique, niché au milieu de la rue des antiquaires, á quelques pas de toutes les églises les plus baroques de Bahia. Karina la patronne, siège derrière son comptoir, Luiz, maitre et seigneur, se promène de table en table. Vous serez sûrement les seuls touristes. Il vous suffira de jeter un coup d´oeil sur la rutilante cuisine pour vous donner faim. Plongez sans retenue. Moquecas de poissons ou crustacés au lait de noix de coco et huile de palme, langue et queue de boeuf, arrosés d´une bonne caipirinha ou d´une bière “stupidement glacée” vous fera sortir du restaurant sur un petit nuage rose. Tout ça á des prix plus que raisonnables. Et, pour un sorbet, mieux que Bertillon, asseyez-vous au Glacier Laporte, á la sortie de l´église de São Francisco. Georges, formé á Deauville, et son épouse Margarida vous offriront des saveurs aussi délicieuses qu´inconnues.
Si vous vous promenez en ville basse, passez le long de la superbe Associação Comercial, noble édifice de la fin du XVIIIème – oú vous pourrez demander á voir l´immense fresque de Portinari célébrant le débarquement de l´empereur á Salvador - allongez le pas pour enfin atteindre la façade du vieux Mercado do Ouro et gouter á la succulente viande de chez Juarez. Lá aussi vous ne verrez que les gens du coin. Hommes d´affaires, garagistes, gérents de banques, commerçants. Si, par le plus grand des hasards, on cause français ou anglais, rassurez-vous, ce ne peut être que des résidents.
Enfin, le soir arrive, toujours trop tôt, sous les tropiques. Vous n´allez pas déja vous coucher, non?! Bien sûr, vous pouvez réserver une bonne table au Amado, nouvelle cuisine brésilienne, juste au niveau de l´eau. Le Tout-Salvador y est, en permanence.
Mais aussi, pourquoi ne pas choisir une soirée culture? Il y a souvent d´excellents concerts ou spectacles de danse au Teatro Castro Alves. Et le trés moderne bâtiment lui-même vaut d´être connu pour son confort et son accoustique. Demandez á la réception de votre hotel de vous conseiller. Aprés tout, vous êtes bien venu jusqu´ici pour apprendre ce que les brésiliens font et aiment, n´est-ce pas?

Les îles
Il est vraissemblable que vous ayez des envies irrépressibles de plonger dans cette nature tropicale qui vous fait rêver depuis votre enfance. Je vous suggèrerai trois îles. La plus proche, Itaparica, oú le premier Club Med a été implanté il y a presque 30 ans, á une heure de bateau. Dans la capitale, ancienne ville d´eau au charme désuet, vous pourrez reprendre vos racines au Passageiro do Vento, la table de Serge Ungaro, cousin du couturier, qui prépare des repas niçois aussi simples que succulents. La deuxième île, Morro de São Paulo, est le point de rencontre des amateurs de farniente du monde entier. Les pousadas se succédent de plage en plage, les plus lointaines étant, comme de bien entendu, les plus côtées. Enfin, et c´est ma préférée, Boipeba, que j´ai longtemps tenue secrète, mais dont le nom aujourd´hui est le sésame ouvre-toi des visiteurs en mal de paradis.

Le Recôncavo
Dans les pays du Nouveau Monde, la notion de distance est beaucoup souple que “chez nous”. On n´hésite pas á faire deux cents kilomètres pour aller pêcher ou simplement voir une procession. Et par des routes pas toujours parfaites, loin de lá! Pourquoi donc ne pas prendre un taxi ou louer une voiture et pousser votre curiosité jusqu´au Recôncavo, ce terreau qui borde l´immense baie? Y est née la richesse historique du pays. Vous verrez encore de grandes plantations de cannes á  sucre, de bambou (pour le papier), de tabac. Et aussi du manioc, un peu d´élevage. Il y a encore des kilombos cachés, anciens villages fondés par des esclaves échappés de maitres autoritaires, sinon inhumains. Le gouvernement commence á les reconnaitre et á leur donner des titres de propriété, mais beaucoup sont encore á la merci de gangsters travestis de gentlemen-farmers. Heureusement, á l´ère de l´informatique, les victimes commencent á savoir se défendre et savent qu´ils peuvent s´appuyer sur l´opinion publique.
Vous traverserez Santo Amaro qui engendra le chanteur compositeur Caetano Veloso et sa soeur Maria Betânia. Si, par chance, le minuscule et charmant Museu dos Humildes est ouvert, consacrez-lui un quart d´heure pour ses extraordinares travaux de nonnes du début du XIXème siècle. Aprés bien serpenté sur cette route aux paysages de peinture naïve, vous voici descendant vers Cachoeira, ville-musée, ville carte-postale, bleue et mauve, lovée au bord d´un large fleuve qui fut jadis la seule voie vers Salvador pour écouler les produits de la province.
Aprés un demi-siècle de somnolence, aujourd´hui la ville renait, grâce á l´installation d´une université. Précipitez-vous, avant toute chose, á l´église de la Ordem Terceira do Carmo. Vous y ferez le plein d´ors baroques, de fresques en faience bleue (azulejos), d´anges, de saints, de colonnes torsadées et de lambrequins. Promenez-vous sans hâte dans les coins et recoins de cette petite ville au charme d´autres temps. Mangez de la maniçoba, plat qui nous vient en droite ligne d´Amazonie, Dieu sait par quel chemin. Allez visiter, de l´autre côté du pont, la fondation Danneman d´art contemporain et, pour les amateurs, sa fabrique de trés bons cigares.
Á quelque époque que vous veniez á Bahia, compléter la promenade jusqu´á Maragogipe vous permettra des vues romantiques sur le fleuve, les villages de potiers, les fermettes bordées de bananiers, ombrées de manguiers, les rives bordées de palétuviers. Rêve de tous les photographes... Mais c´est surtout au moment du carnaval que cette ville s´éveille et offre le plus étonnant spectacle de l´état, bien plus convaincant que celui de Salvador, maintenant envahi par le mercantilisme.
Au bord du fleuve, depuis le matin jusqu´á tard dans la nuit, colombines et marquises, clowns, coy-boys, odalisques, pierrots et sultans dansent et s´interpellent, masqués ou quasiment nus, mais toujours chaudement baignés de magie…
Ne pensez pas que lá s´arrête la liste des trésors de Saint Sauveur de la Baie de Tous les Saints, première capitale du Brésil, mais je pense que vous en avez déja assez pour une bonne semaine. Nous vous attendons!  

NDLR.- Ce que l´auteur, critique gastronomique, galériste et commissaire ne vous a pas dit, c´est que, français résident depuis 1975 á Salvador, il possède dans le centre historique une maison connue dans tout le Brésil. Truffée de collections d´art populaire et contemporain, elle a été classée en 2007 “Maison-Musée” par le Ministère de la Culture. La Casa-Museu Solar Santo Antônio offre, outre deux confortables chambres d´hôtes (B&B) avec une vue magnifique sur le jardin, le port, la baie et les îles, toutes les informations indispensables pour rendre votre séjour inoubliable, loin de tous les lieux communs pour attrape-touristes. Une petite galerie d´art – contemporain et populaire - saura vous tenter.
Pour les groupes d´environ 20 participants, une croisière de trois jours peut être organisée dans la baie e le fleuve Paraguassu. Trois semaines d´avance doivent être prévues pour préparer ce voyage dans le temps. Contact:dimitri.bahia@gmail.com

Pour vos achats,
Vous avez le Mercado Modelo, bazar local, tout pour le touriste de base, la Feira de São Joaquim, fascinant marché oú l´Afrique et les Amériques se rejoignent, les boutiques populaires de la Baixa dos Sapateiros et les centres commerciaux  - Salvador Shopping, Barra, Iguatemi etc. - tant appréciés para la classe moyenne baianaise. Le rêve de la consomation á l´américaine. Faites tout de même un tour dans le Pelourinho. En fouinant bien, vous trouverez peut-être. Á un coin de la Rua das Laranjeiras, Mesdames, n´hésitez pas á entrer dans le magasin de Márcia Ganem. Ses créations sont dangeureusement séduisantes et á des prix encore abordables.

Mes restaurants préférés:
$ Mini-Cacique. Rua Ruy Barbosa,29. Ouvert seulement á déjeuner du lundi au vendredi.
$$ Ramma. Cruzeiro de São Francisco, 7. Restaurant naturel. Vous ne payerez que le poids de ce que vous aurez pris.
$$$ Villa Bahia. Cruzeiro de São Francisco, 16. Excellente nouvelle cuisine brésilienne dans un cadre sofistiqué.
$$$$ Soho. Avenida Contorno, 1010. Un remarquable japonais au bord de l´eau
$$$$ Paraíso Tropical. Rua Edgard Loureiro, 98-B Cabula. Un chef baianais crée des plats surprenants sur les bases de la cuisine locale traditionnelle.

Cet article devait être publié dans une revue française de voyages qui semble avoir disparu peu aprés sa naissance. Profitez-en!

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